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La perte de la chose louée écartée
CA Versailles 6 mai 2021 (Versailles, 12e ch., 6 mai 2021, n°19/08848)
Après une pléthore de décisions rendues par le Juge des référés dans de nombreuses juridictions, les juges du fond ont rendu une nouvelle décision au fond, cette fois émanant de la Cour d’Appel de Versailles.
En synthèse, la Cour d’Appel écarte les arguments généralement opposés par les preneurs dans le contexte de la crise sanitaire, à savoir:
• la force majeure, car inapplicable à « une obligation contractuelle de sommes d’argent ».
• l’exception d’inexécution, puisque « la délivrance du local par le bailleur n’étant pas contestée et l’impossibilité d’exploitation étant sans lien avec le local lui-même ».
• la perte de la chose louée: l’article 1722 du code civil est écarté aux motifs qu’« il n’est pas contesté qu’en l’espèce le bien loué n’est détruit ni partiellement ni totalement ; il n’est pas davantage allégué qu’il souffrirait d’une non-conformité, l’impossibilité d’exploiter du fait de l’état d’urgence sanitaire s’expliquant par l’activité économique qui y est développée et non par les locaux, soit la chose louée en elle-même. L’impossibilité d’exploiter durant l’état d’urgence sanitaire est de plus limitée dans le temps, ce que ne prévoit pas l’article 1722 du code civil, lequel ne saurait être appliqué en l’espèce ».
Cet arrêt est intéressant dans sa motivation concernant l’argument de la perte de la chose louée puisqu’il contredit les décisions contraires rendues en référé ou devant le Juge de l’Exécution sur la notion de perte de chose louée (TJ ANGERS, référé, 24 décembre 2020, n°20/00527 ; TJ PARIS JEX, 20 janvier 2021, n°20/80923 ; TC PARIS, référé, 19 février 2021, n°2020047783 ; CA VERSAILLES, référé, 4 mars 2021, n°20/02572 ; CA VERSAILLES, référé, 6 mai 2021, n°20/04824). Aussi, le même jour, la Cour d’Appel de Versailles a statué en référé en retenant a contrario l’argument de la perte de chose louée (partielle) pour en caractériser une contestation sérieuse.
Dans l’ensemble des décisions précitées, les juges considèrent que l’interdiction de recevoir du public en raison de la pandémie est susceptible d’être assimilée à une perte partielle de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil, et constitue dès lors une contestation sérieuse échappant à la compétence du Juge des référés, et ressortant donc du juge du fond.
Bien que la décision de la Cour d’Appel de Versailles soit relativement « inédite » sur la notion de perte de chose louée en l’écartant, en réalité ce n’est pas la première décision au fond se positionnant clairement sur la perte de la chose louée dans le contexte de la pandémie. On peut en effet citer le jugement du Tribunal Judiciaire de la Rochelle rendue le 23 mars 2021 (n°02428), mais qui a rendu une décision contraire:
« Selon l’article 1722 du Code Civil, si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. Il est constant que la perte de la chose peut être assimilée à l’impossibilité d’user des locaux en raison d’un cas fortuit au sens de cet article (Civ. 3e, 30 avr. 1997). De même, la perte de la chose louée est établie lorsque le locataire est dans l’impossibilité de l’utiliser par suite de l’application d’une disposition légale intervenue en cours de bail (Civ 3e 12 mai 1975). Il est tout aussi constant que la perte peut être matérielle ou juridique. L’article 1722 précité peut s’appliquer, sans qu’il y ait eu détérioration matérielle, dès lors que le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de l’immeuble, d’en faire usage conformément à sa destination Il est de droit qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivaut à la perte de la chose louée. Cette perte peut être partielle, dès lors que la fermeture présente un caractère provisoire. Par conséquent, la SAS C est fondée en son action, de sorte qu’il convient de dire que pour la période du 16 mars au 11 mai 2020, le preneur ne doit aucun loyer ».
En conséquence, la Cour d’Appel de Versailles rend à ce stade et dans le contexte des décisions « Covid » une décision inédite sur la question en écartant la perte partielle de la chose louée, compte tenu de la disponibilité matérielle des locaux et du caractère temporaire de l’indisponibilité (juridique) de la chose louée.