Arrêt Covid: Exclusion de la perte totale de la chose louée

CA Pau, 26 octobre 2021 (2e ch., Section 1, 26 octobre 2021, n° 21/00335)

Dans cette affaire, le locataire, enseigne nationale d’ameublement et de décoration, avait partiellement suspendu le règlement de ses loyers sur la période du 15 mars au 11 mai 2020.

En première instance, le Juge des référés avait rejeté les contestations sérieuses soulevées par le preneur, à savoir la force majeure et l’exception d’inexécution, et avait condamné le preneur à verser une somme provisionnelle au titre des loyers considérés.

Or, la Cour examinera ces mêmes moyens, ainsi que de nouveaux, à savoir la perte de la chose louée et la bonne foi, en les écartant tous successivement, à l’exception de la perte partielle de la chose louée : la motivation est intéressante par ailleurs concernant l’exclusion de la perte totale de la chose louée (cf infra):

La force majeure:

« Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure, cette obligation revêtant la nature d’une obligation de résultat absolue dont les difficultés d’exécution peuvent être traitées dans le cadre des mesures mises à la disposition du débiteur.

Cette obligation de payer ne cède pas devant la théorie du fait du prince inapplicable en l’espèce dès lors que l’autorité publique n’est pas partie à la relation contractuelle établie entre la société XXXX et la SCI XXX.(…). En l’espèce, en dépit des demandes du bailleur en ce sens, la société XXX n’a produit aucun élément comptable de nature à justifier que l’impossibilité alléguée d’exploiter son activité commerciale dans les lieux loués durant la période considérée aurait asséché sa trésorerie disponible pour faire face au paiement des loyers commerciaux. »

Le moyen est donc écarté.

L’exception d’inexécution:

« L’interdiction de recevoir du public, qui n’est pas une mesure de fermeture administrative générale emportant l’arrêt de toute activité commerciale, ne s’impose pas à la société XXXX en raison des locaux donnés à bail par la SCI mais bien en raison de la nature de son activité commerciale, classée en catégorie M, qui, impliquant l’accueil de la clientèle sur site, était susceptible de contribuer à la propagation du virus en population générale.

L’impossibilité d’ouvrir au public les locaux loués conformément à leur destination contractuelle n’est donc manifestement pas susceptible d’être rattachée à l’obligation de délivrance ou de garantie de jouissance paisible incombant au bailleur qui n’est pas tenu de garantir son locataire des conséquences des injonctions administratives qui ne concerne pas ses obligations de bailleur. »

Le moyen est aussi écarté.

Sur la mauvaise foi du bailleur:

« Le moyen tiré de la mauvaise foi du bailleur dans l’exécution du bail, au visa de l’article 1134 du code civil ancien, n’est manifestement pas sérieux dès lors la société XXXX a unilatéralement suspendu ses paiements avant de proposer pour l’avenir, de nouveaux aménagements dans un courrier du 23 juin 2020 auquel a répondu le bailleur en proposant un étalement du paiement de l’arriéré et envisager « les éventuels ajustements à apporter aux conditions financières du bail en cours », en sollicitant la production des bilans, les comptes d’exploitation et un état de trésorerie au 30 juin certifié par un expert-comptable.

L’échec des pourparlers ne révèle pas en eux-mêmes un quelconque abus de droit du bailleur.

Ce moyen a été jugé non sérieux.

La perte de la chose louée:

« La société XXXX a, durant la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020, été temporairement privée de la possibilité d’ouvrir au public ses locaux de vente d’une superficie de vente de 2.990 m² doublés d’un dépôt de 2.700 m², conservant cependant l’accès à l’ensemble des dits locaux, outre l’emprise extérieure, ce qui lui a permis de maintenir son activité administrative, assurer la gestion des stocks, poursuivre l’exploitation de la vente en ligne, avec retraits ou livraisons, préservant ainsi sa force commerciale qui lui a permis de faire face à un rebond de chiffre d’affaires de 48 % lors de la levée de l’interdiction en mai 2020.

Ces faits sont manifestement exclusifs de toute assimilation avec une destruction totale de la chose louée alors que l’interdiction administrative était temporaire et limitée dans ses conséquences pour l’activité de la société XXXX.

En revanche, cette interdiction, qui constitue un cas fortuit, a sensiblement diminué l’usage des locaux commerciaux affectés à l’accueil du public (…)

La question de savoir si cette impossibilité, temporaire et relative, d’utiliser une partie des locaux, peut être assimilée à une perte partielle de la chose louée, ne peut être tranchée sans procéder à une interprétation de l’article 1722 précité à la lumière d’une analyse spéciale des faits de la cause qui, touchant nécessairement le fond du droit, excède les pouvoirs que le juge des référés tient de l’article 873 du code de procédure civile. 

Le moyen constitue donc une contestation sérieuse qui, cependant, ne saurait remettre en cause la fraction non contestable de l’obligation de payer les loyers qui, eu égard aux considérations qui précèdent sur l’activité maintenue par la société XXXX ne saurait être inférieure à 50 % du montant des loyers. »

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il motive de façon exhaustive le rejet de chaque argument de droit invoqué par les preneurs. Toutefois, la perte partielle de la chose louée est, quant à elle, retenue comme une contestation sérieuse relevant de l’office du juge du fond.

Notons également que l’arrêt exclut d’ores et déjà l’assimilation des faits à une destruction totale de la chose louée, du fait du maintien de l’accès aux locaux, ayant permis au preneur d’assurer la gestion des stocks, de poursuivre l’exploitation de la vente en ligne, avec des retraits et livraisons, ce qui lui a permis d’augmenter son chiffre d’affaires dès la réouverture en mai 2020. C’est bien le maintien partiel de l’activité qui permet au juge (même des référés ici en l’occurrence) d’exclure la perte totale de la chose louée.

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